Saison 2014-2015,
par Pierre-Antoine Héritier
Cette saison, je l’appréhendais depuis un moment :
c’est la première que je devais faire sans aucun – ou presque – de mes Quest
Dogs. Comme ils ont dix ans, j’ai bien dû me résoudre à les sortir de mon team
de course. Xaver et Roope ont fait un
maximum en 2013-2014 pour mettre sur orbite les jeunes, mais il a été plus
raisonnable pour cette nouvelle saison de leur laisser la paix.
En automne, il a donc fallu se lancer dans l’inconnu avec un
jeune team (âge moyen : 3 ans), avec tout ce que cela comporte comme
problématique.
En novembre, bonne surprise : je me rends compte que
Karsten, 8 ans, est toujours dans le coup et réalise de bonnes performances qui vont lui permettre de m’accompagner durant cette saison : je ne serai pas
le seul vieux de ce team.
Au feeling, je décide de prendre une option plutôt soft dans
mon plan d’entraînement afin de préserver ces jeunes athlètes des blessures.
J’entraîne donc plutôt lourd et court tout au long de l’automne, genre easy training et happy dogs. Je sais très
bien que ce n’est pas la meilleure option pour la performance, mais c’est la
meilleure pour préserver les chiens en vue du futur.
Au début janvier, nous devions aller sur la Vercors Quest, mais vu le report de la
course, nous sommes allés directement en Suède pour arriver quatre jours avant
la Vildmarkracet, une course de 120
kilomètres. Deux sorties, et hop en course ! C’était un peu chaud en
timing mais les chiens avaient besoin de course, et moi aussi.
Cette petite course de dernière minute a été une
accumulation de boulettes de ma part, je manque de « routine
course », et ça se voit. Résultat
moyen au niveau performance, mais bon au niveau expérience. C’est le but de
cette saison.
En 2015, la Femund proposait un nouveau parcours ainsi que
quelques nouvelles règles pour durcir la course, genre camping obligatoire.
C’est sans doute ça qui m’a convaincu.
Au vu de notre entraînement et de la jeunesse du team, j’ai
décidé de courir la 600 pour pouvoir prendre le départ avec 12 chiens. Mon
objectif : faire 400km et improviser les éventuels 200 derniers, le tout
avec un plan de course soft pour donner aux chiens un maximum de fun.
Je n’avais plus couru la Femund depuis 4 ans. Bien des
choses ont changé depuis, à commencer par le départ. J’ai connu les départs de
nuit, avec 800 chiens dans la même petite rue. Aujourd’hui, le start se fait en
milieu de journée, avec une sécurité maximale et une organisation rôdée. Ca
change tout. J’ai donc préparé le team, le matériel, avec une étonnante décontraction
que je ne m’explique pas encore vraiment.
Nous sommes prêts à l’heure, tout se passe bien. J’ai tout
de même oublié de mettre les booties à un des chiens de tête. Top départ !
Salutations au public…et le virage à droite que tout le monde connaît. Sans
doute trop de décontraction… Rien de cassé, rien de perdu, à part un couteau,
mais ça c’est une habitude et cette fois, j’en ai un de réserve, donc on
continue. C’est un très bel après-midi, il fait presque chaud, puis ça
s’améliore. On rallie le 1er check sans encombre.
Les chiens vont bien. Ils se couchent très vite après avoir
mangé et dorment. Je leur avais appris à camper souvent en janvier, ils savent
se tenir dans un check point, aucun n’a de problème, c’est parfait.
Après le temps d’arrêt obligatoire, on reprend la piste pour
Drevsjo, à 65km. C’est une nuit de pleine lune, presque pas besoin de lampe
frontale. On arrive vers 2 heures du matin. Déjà 150km de fait, encore peu de
problème, ils mangent et ils se couchent. Depuis deux jours, on nous annonce
une énorme tempête, et la plupart des mushers quittent très vite Drevsjo pour
éviter le problème. J’ai un plan et je vais le tenir : je m’arrête pour
six heures et on verra.
Au matin, je suis content d’avoir suivi le plan, ça doit
être la première fois dans ma vie de musher ! Par contre, le problème
arrive sur nous à 120km/h…
Vers 9 heures, nous sommes prêts. Volker, arrivé après moi
au check, aussi. Nous avions planifié à plusieurs de courir groupés pour
affronter le cauchemar à venir, mais les autres ne sont plus en course ou sont ailleurs.
On quitte donc avec Volker le checkpoint à quelques minutes d’intervalle.
On est à peine sortis du checkpoint que ça commence… Sur le
premier lac, il faut déjà s’accrocher pour ne pas être soufflés vers le bord.
Les chiens réagissent bien. Il y a énormément de vent, et aussi énormément de
neige, ce qui n’arrange rien. Je décide
de sortir mes lunettes de ski, c’est grave… Les premiers 15km sont vallonnés,
mais on n’y voit rien, on avance en alternant les teams. On traverse ensuite
des grands lacs. Très difficile de garder les chiens sur le trail. On profite
du premier snack pour échanger deux mots, mais il faut crier pour qu’on se
comprenne tellement il y a de vent.
On reprend la piste à travers la forêt et les marais, il y a
de plus en plus de congères et de moins en moins de traces.
Au 2ème snack, on est à 35km, plus que 25
jusqu’au prochain check, mais il y a encore plus de vent. 5 km plus loin, Aki
Holck arrive en face de nous : il
n’a pas trouvé la piste, alors que ses chiens et lui ont couru la Femund
à maintes reprises. Je me dis que si Aki, qui vit en Laponie, n’a pas trouvé le
trail, ce ne sont pas mes jeunes chiens qui vont ouvrir la piste jusqu’à
Sovolen…
Les 15 ou 20 derniers kilomètres sont à découvert, sans
arbres, et la tempête ne semble pas se calmer. On sait tous les deux à quels
risques on s’expose si on continue. Volker, qui ne connaît pas le coin, est
plus confiant. On lui laisse le choix, mais après discussion, il se rallie à
notre position : on ne prendra pas de risques.
Il est 14 heures, on n’est pas loin de deux cabanes de pêche.
On décide donc de camper un moment. Notre plan : attendre que des traceurs
passent pour préparer la piste des concurrents de la 400 qui, à notre avis,
n’arriveront pas jusqu’ici sans une nouvelle trace. On calcule qu’ils devraient
passer entre 20 h et 22 heures. Ca nous fait une pause de 6 heures. Ensuite, on
pourra les suivre peut-être. On s’organise. Je nourris les chiens, et malgré
leurs manteaux, je leur fais des murs de neige. Les cabanes sont fermées, mais
il y a des toilettes et elles sont ouvertes, c’est le grand luxe, Aki est
content, il y a même du papier.
Tout est sous contrôle, ou presque. La météo reste extrême.
On apprendra plus tard que cette tempête avait un nom : « Ole ». On s’équipe.
Tous les habits du pack de secours vont être utiles. Les chiens sont en
sécurité, on se met nous aussi à l’abri, et pour ça, il n’y a qu’une
solution : le sac de survie et le sac de couchage. L’attente commence. Il
n’y a rien d’autre à faire.
Vers 20 heures, on se concerte. Nous n’avons pas de contact
car il y a peu de réseau. L’organisation nous localise grâce à nos balises GPS.
On estime que la situation n’a encore rien de critique, on estime qu’avec une
piste normale, les teams de la 400 partis 24 heures après nous pourraient
arriver vers minuit, je sais que les pisteurs devraient passer 3 ou 4 heures
avant. Je me dis que si, à minuit, il n’y a pas de traceurs, c’est que la
course est interrompue. De toute façon, la meilleure chose à faire, c’est de ne
pas bouger, nous sommes tous les trois d’accord avec ça.
Pour ne pas dépenser trop d’énergie, on s’organise pour
checker les chiens toutes les 3 heures. A 23heures, je contrôlerais donc les
chiens des 3 teams, puis 3 heures plus tard ce sera au tour d’ Aki et ensuite
de Volker. Il faut un minimum de solidarité.
Malgré le vent et la neige, on survit bien grâce au
matériel. Il ne fait pas froid tant qu’on reste couchés et enfermés dans nos
sacs. Les 120 km/h de vent nous passent dessus.
Vers 7 heures du matin, personne n’est passé par chez nous. Après
de longues recherches, Aki trouve du réseau et peut atteindre ses handlers qui
l’informent que de nombreux mushers sont
en perdition sur la piste. Tous sont arrêtés, certains sont perdus car leurs
GPS n’émettent plus. C’est la panique autour de nous. On en rit, car pour nous,
il n’y a encore rien de paniquant.
A 9heures, les traceurs et secouristes arrivent par la piste
par laquelle nous-mêmes sommes arrivés. Ils nous annoncent que la course a été stoppée
par mesure de sécurité. Jamais encore une Femund n’avait été arrêtée. Faut
croire qu’il y avait vraiment trop de vent. Ils nous donnent des instructions
pour rentrer. Vu que la course est terminée, on ouvre les rations de survie et
nous nourrissons les chiens. Vers 10heures, nous rentrons par la piste, puis
suivons une route jusqu’au point de rencontre avec les handlers et les
camions. Les chiens sont très rapides et
heureux de courir : le vent est tombé, il y a même un peu de soleil. On
apprendra plus tard que tous les mushers qui étaient sur la piste ont dû faire
la même chose que nous, et que pour certains, la situation aurait pu être
dramatique.
Je ressens un peu de frustration mais ce fut une bonne
expérience pour les chiens, qui ont très bien réagi à la situation. Je suis
content d’avoir vécu cette Femund qui restera gravée dans les mémoires de toute
façon.
Le team a ensuite couru la Polardistans 160km avec un couple
de mushers avec qui on avait constitué deux teams de 8 chiens (5 à eux et 11
des miens). Là aussi, ce fut une bonne expérience : les chiens se sont
très bien comportés sur cette Polar qui a été aussi longue que ma Femund .
Le team a maintenant assez de bagage pour la saison
prochaine, que je me réjouis de vivre avec eux…
Une mention spéciale à Karsten qui a été mon talisman cette
saison, le seul chien pro de ce team encore trop jeune à mon goût…
mai 2015,
Pierre-Antoine Héritier
Pierre-Antoine sur la Femund 600 |
MERCI !
lien : départs de la Femund 600 : http://www.femundlopet.no/fl-tv.html
(vidéo "start Femund 600", Pierre-Antoine : dossard 42, vers la 45min)
Respect !!!!
RépondreSupprimerRien qu'en lisant ses lignes a travers vous les mushers l'extrême , je vous voit sur vos patins à la Jack London , partir à la recherche de l'or blanc et ses grands espaces.
RépondreSupprimerJ'admire votre détermination et le respect que vous avez pour vos compagnons d'aventures.
Merci Pierre-Antoine pour ton récit et vivement les prochains exploits du Team Héritier ;0))
Michèle