lundi 1 juin 2015

Femund 2015

C'était en février. Une tempête mémorable, comme on n'en avait rarement vu sur la Femund. Le site de la course relayait les informations : la piste s'effaçait, il y avait de la neige partout, et du vent, des rafales de vent.. On arrêtait la course, on recherchait les mushers encore sur le trail, certains GPS n'émettaient plus...Pierre-Antoine y était, avec son team. Nous lui avons demandé de raconter cette course devenue mythique...et de rajouter quelques mots sur sa saison. Merci beaucoup à lui !


Saison 2014-2015,
par Pierre-Antoine Héritier


Cette saison, je l’appréhendais depuis un moment : c’est la première que je devais faire sans aucun – ou presque – de mes Quest Dogs. Comme ils ont dix ans, j’ai bien dû me résoudre à les sortir de mon team de course.  Xaver et Roope ont fait un maximum en 2013-2014 pour mettre sur orbite les jeunes, mais il a été plus raisonnable pour cette nouvelle saison de leur laisser la paix.

En automne, il a donc fallu se lancer dans l’inconnu avec un jeune team (âge moyen : 3 ans), avec tout ce que cela comporte comme problématique.

En novembre, bonne surprise : je me rends compte que Karsten, 8 ans, est toujours dans le coup et réalise de bonnes performances qui vont lui permettre de m’accompagner durant cette saison : je ne serai pas le seul vieux de ce team.

Au feeling, je décide de prendre une option plutôt soft dans mon plan d’entraînement afin de préserver ces jeunes athlètes des blessures. J’entraîne donc plutôt lourd et court tout au long de l’automne, genre easy training et happy dogs.  Je sais très bien que ce n’est pas la meilleure option pour la performance, mais c’est la meilleure pour préserver les chiens en vue du futur.
Au début janvier, nous devions aller sur la Vercors Quest, mais vu le report de la course, nous sommes allés directement en Suède pour arriver quatre jours avant la Vildmarkracet, une course de 120 kilomètres. Deux sorties, et hop en course ! C’était un peu chaud en timing mais les chiens avaient besoin de course, et moi aussi.

Cette petite course de dernière minute a été une accumulation de boulettes de ma part, je manque de « routine course », et  ça se voit. Résultat moyen au niveau performance, mais bon au niveau expérience. C’est le but de cette saison.

En 2015, la Femund proposait un nouveau parcours ainsi que quelques nouvelles règles pour durcir la course, genre camping obligatoire. C’est sans doute  ça qui m’a convaincu.
Au vu de notre entraînement et de la jeunesse du team, j’ai décidé de courir la 600 pour pouvoir prendre le départ avec 12 chiens. Mon objectif : faire 400km et improviser les éventuels 200 derniers, le tout avec un plan de course soft pour donner aux chiens un maximum de fun.
Je n’avais plus couru la Femund depuis 4 ans. Bien des choses ont changé depuis, à commencer par le départ. J’ai connu les départs de nuit, avec 800 chiens dans la même petite rue. Aujourd’hui, le start se fait en milieu de journée, avec une sécurité maximale et une organisation rôdée. Ca change tout. J’ai donc préparé le team, le matériel, avec une étonnante décontraction que je ne m’explique pas encore vraiment.

Nous sommes prêts à l’heure, tout se passe bien. J’ai tout de même oublié de mettre les booties à un des chiens de tête. Top départ ! Salutations au public…et le virage à droite que tout le monde connaît. Sans doute trop de décontraction… Rien de cassé, rien de perdu, à part un couteau, mais ça c’est une habitude et cette fois, j’en ai un de réserve, donc on continue. C’est un très bel après-midi, il fait presque chaud, puis ça s’améliore. On rallie le 1er check sans encombre.

Les chiens vont bien. Ils se couchent très vite après avoir mangé et dorment. Je leur avais appris à camper souvent en janvier, ils savent se tenir dans un check point, aucun n’a de problème, c’est parfait. 

Après le temps d’arrêt obligatoire, on reprend la piste pour Drevsjo, à 65km. C’est une nuit de pleine lune, presque pas besoin de lampe frontale. On arrive vers 2 heures du matin. Déjà 150km de fait, encore peu de problème, ils mangent et ils se couchent. Depuis deux jours, on nous annonce une énorme tempête, et la plupart des mushers quittent très vite Drevsjo pour éviter le problème. J’ai un plan et je vais le tenir : je m’arrête pour six heures et on verra.

Au matin, je suis content d’avoir suivi le plan, ça doit être la première fois dans ma vie de musher ! Par contre, le problème arrive sur nous à 120km/h…

Vers 9 heures, nous sommes prêts. Volker, arrivé après moi au check, aussi. Nous avions planifié à plusieurs de courir groupés pour affronter le cauchemar à venir, mais les autres ne sont plus en course ou sont ailleurs. On quitte donc avec Volker le checkpoint à quelques minutes d’intervalle.

On est à peine sortis du checkpoint que ça commence… Sur le premier lac, il faut déjà s’accrocher pour ne pas être soufflés vers le bord. Les chiens réagissent bien. Il y a énormément de vent, et aussi énormément de neige, ce qui  n’arrange rien. Je décide de sortir mes lunettes de ski, c’est grave… Les premiers 15km sont vallonnés, mais on n’y voit rien, on avance en alternant les teams. On traverse ensuite des grands lacs. Très difficile de garder les chiens sur le trail. On profite du premier snack pour échanger deux mots, mais il faut crier pour qu’on se comprenne tellement il y a de vent.
On reprend la piste à travers la forêt et les marais, il y a de plus en plus de congères et de moins en moins de traces.

Au 2ème snack, on est à 35km, plus que 25 jusqu’au prochain check, mais il y a encore plus de vent. 5 km plus loin, Aki Holck arrive en face de nous : il  n’a pas trouvé la piste, alors que ses chiens et lui ont couru la Femund à maintes reprises. Je me dis que si Aki, qui vit en Laponie, n’a pas trouvé le trail, ce ne sont pas mes jeunes chiens qui vont ouvrir la piste jusqu’à Sovolen…

Les 15 ou 20 derniers kilomètres sont à découvert, sans arbres, et la tempête ne semble pas se calmer. On sait tous les deux à quels risques on s’expose si on continue. Volker, qui ne connaît pas le coin, est plus confiant. On lui laisse le choix, mais après discussion, il se rallie à notre position : on ne prendra pas de risques.

Il est 14 heures, on n’est pas loin de deux cabanes de pêche. On décide donc de camper un moment. Notre plan : attendre que des traceurs passent pour préparer la piste des concurrents de la 400 qui, à notre avis, n’arriveront pas jusqu’ici sans une nouvelle trace. On calcule qu’ils devraient passer entre 20 h et 22 heures. Ca nous fait une pause de 6 heures. Ensuite, on pourra les suivre peut-être. On s’organise. Je nourris les chiens, et malgré leurs manteaux, je leur fais des murs de neige. Les cabanes sont fermées, mais il y a des toilettes et elles sont ouvertes, c’est le grand luxe, Aki est content, il y a même du papier.

Tout est sous contrôle, ou presque. La météo reste extrême. On apprendra plus tard que cette tempête avait un  nom : « Ole ». On s’équipe. Tous les habits du pack de secours vont être utiles. Les chiens sont en sécurité, on se met nous aussi à l’abri, et pour ça, il n’y a qu’une solution : le sac de survie et le sac de couchage. L’attente commence. Il n’y a rien d’autre à faire.

Vers 20 heures, on se concerte. Nous n’avons pas de contact car il y a peu de réseau. L’organisation nous localise grâce à nos balises GPS. On estime que la situation n’a encore rien de critique, on estime qu’avec une piste normale, les teams de la 400 partis 24 heures après nous pourraient arriver vers minuit, je sais que les pisteurs devraient passer 3 ou 4 heures avant. Je me dis que si, à minuit, il n’y a pas de traceurs, c’est que la course est interrompue. De toute façon, la meilleure chose à faire, c’est de ne pas bouger, nous sommes tous les trois d’accord avec ça.

Pour ne pas dépenser trop d’énergie, on s’organise pour checker les chiens toutes les 3 heures. A 23heures, je contrôlerais donc les chiens des 3 teams, puis 3 heures plus tard ce sera au tour d’ Aki et ensuite de Volker. Il faut un minimum de solidarité.

Malgré le vent et la neige, on survit bien grâce au matériel. Il ne fait pas froid tant qu’on reste couchés et enfermés dans nos sacs. Les 120 km/h de vent nous passent dessus.

Vers 7 heures du matin, personne n’est passé par chez nous. Après de longues recherches, Aki trouve du réseau et peut atteindre ses handlers qui l’informent  que de nombreux mushers sont en perdition sur la piste. Tous sont arrêtés, certains sont perdus car leurs GPS n’émettent plus. C’est la panique autour de nous. On en rit, car pour nous, il n’y a encore rien de paniquant.

A 9heures, les traceurs et secouristes arrivent par la piste par laquelle nous-mêmes sommes arrivés. Ils nous annoncent que la course a été stoppée par mesure de sécurité. Jamais encore une Femund n’avait été arrêtée. Faut croire qu’il y avait vraiment trop de vent. Ils nous donnent des instructions pour rentrer. Vu que la course est terminée, on ouvre les rations de survie et nous nourrissons les chiens. Vers 10heures, nous rentrons par la piste, puis suivons une route jusqu’au point de rencontre avec les handlers et les camions.  Les chiens sont très rapides et heureux de courir : le vent est tombé, il y a même un peu de soleil. On apprendra plus tard que tous les mushers qui étaient sur la piste ont dû faire la même chose que nous, et que pour certains, la situation aurait pu être dramatique.
Je ressens un peu de frustration mais ce fut une bonne expérience pour les chiens, qui ont très bien réagi à la situation. Je suis content d’avoir vécu cette Femund qui restera gravée dans les mémoires de toute façon.

Le team a ensuite couru la Polardistans 160km avec un couple de mushers avec qui on avait constitué deux teams de 8 chiens (5 à eux et 11 des miens). Là aussi, ce fut une bonne expérience : les chiens se sont très bien comportés sur cette Polar qui a été aussi longue que ma Femund .

Le team a maintenant assez de bagage pour la saison prochaine, que je me réjouis de vivre avec eux…

Une mention spéciale à Karsten qui a été mon talisman cette saison, le seul chien pro de ce team encore trop jeune à mon goût…

mai 2015,

Pierre-Antoine Héritier


Pierre-Antoine sur la Femund 600

MERCI !


lien : départs de la Femund 600 : http://www.femundlopet.no/fl-tv.html 
(vidéo "start Femund 600", Pierre-Antoine : dossard 42, vers la 45min)

2 commentaires:

  1. Rien qu'en lisant ses lignes a travers vous les mushers l'extrême , je vous voit sur vos patins à la Jack London , partir à la recherche de l'or blanc et ses grands espaces.
    J'admire votre détermination et le respect que vous avez pour vos compagnons d'aventures.
    Merci Pierre-Antoine pour ton récit et vivement les prochains exploits du Team Héritier ;0))
    Michèle

    RépondreSupprimer